1 - NOUS ETIONS CHARLIE


#jesuisgroggy

13 Janvier 2015

Le Pont Valentré et son diable, accroché aux pierres d'angle de la tour centrale, se dorent au soleil froid de janvier. Aucun touriste ne gravite sur le site. L'eau ronfle tranquillement sous les arches.

Pont Valentré, berge de la Fontaine des Chartreux - photo Marie-Hélène Bou
Pont Valentré, berge de la Fontaine des Chartreux - photo Marie-Hélène Bou

La fontaine des Chartreux est sage. Nul débordement.

Je me gare au parking - gratuit - dit de St Georges, celui qui terrassa le dragon.

J'ai mon propre petit dragon à combattre, et terrasser, moi aussi. 

Charles Dufraine (1872) Saint Georges terrassant le dragon
Charles Dufraine (1872) Saint Georges terrassant le dragon

La salle d'attente est remplie... Je salue à la ronde et la ronde me répond.

Et je m'installe pour écrire, près d'une fenêtre, un long mail que j'enverrai plus tard, de retour à la maison. Ou pas. Ce sera selon. Les fauteuils sont ici plutôt des chaises, en matière plastique ou en résine dure, jaunes ou blancs, anguleux et moches et inconfortables. Des noms sont égrenés du haut d'un haut parleur, et petit à petit la salle se vide, tandis que d'autres "patients" (et il en faut de la patience) arrivent.

C'est mon tour.

La mammographie, qui en temps normal est déjà une torture, devient carrément un horrible supplice. La carapace du cabe est dure. Ce qui démontre déjà que c'est une tumeur. Le sein ne se laisse pas écraser entre les plaques de la machine. Il faut y revenir plusieurs fois "le cliché n'est pas bon" m'annonce la dame tortionnaire, qui s’excuse...

Je suis à deux doigts de tomber dans les pommes. En apnée.

Un "petit examen indolore" disent les médecins... hommes...

Souriez... vous êtes "filmé" !
Souriez... vous êtes "filmé" !

Elle n'en dira pas plus.

L'échographe prend la relève. L'examen est plus doux, mielleux presque...

Mais la tête du bonhomme s'allonge au fur et à mesure que glisse le petit boitier imbibé de gel gluant. 

"C'est... très suspicieux.

- Mais encore ?

- Et bien cela ressemble très fortement à... un cancer."

Voilà, le mot est lâché.

Le Dr Garrigue l'avait également prononcé, en prenant ma tension lors de notre rendez-vous, et qui était fort élevée à ce moment là, contrairement à son habitude.

"C'est normal avait-t-il dit, c'est la première fois que nous nous voyons... et nous parlons, quand même, de cancer."

Je lui avais su gré de sa franchise.

Je retourne dans la salle d'attente désormais quasiment déserte.

Je reste sans bouger dans un de ces fauteuils de plastique jaune. Face à la fenêtre. Les rideaux semblent couler en averse tropicale grise, flasque et molle. 

 

Je vais devoir mourir. Me faire à cette idée.

J'aurais quand même quelques mois pour me préparer et jouir du temps qui me reste au mieux avec les miens.

Mais avec cette perspective en tête je reste anéantie sur ce fauteuil dur. Sans autre réaction.

 

"Je ne ressens ni joie ni peine...

La loi du Grand amour est rude

Pour qui s'est trompé de chemin"

Jacques Higelin (1979

 

Juste un grain de poussière renvoyé dans les galaxies.

Géante rouge : un "supervent" balaie les grains de poussières...
Géante rouge : un "supervent" balaie les grains de poussières...

On me rappelle.

On a déjà averti mon tout nouveau médecin traitant, le Dr Garrigue, qui me recevra demain matin à 9 heures.

Je repars. Mutique. Sonnée.

 

Le dragon est bel et bien en mon sein, et s'est réveillé.

 

Dans la rue, les petits rectangles noirs "Je Suis Charlie" sont placardés sur des vitrines, des portes, des voitures...

 

Et moi.... #jesuisgroggy.


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