( Chanson d'Automne) Paul Verlaine
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Pendant que les allers-retours entre la colline et la clinique à la machine Elekta se terminent, empruntant désormais, pour cause de déviation, une petite route cabossée et sinueuse, mais éblouissante de collines douces couronnées d'anciennes bastides royales, maisons fortes ou simples fermes, petites chapelles romanes ou moulins à vent trapus, le long de languissantes et puissantes lames de fond toutes en labours ocres, prairies au vert fluorescent et bosquets sombres, le monde bascule un peu plus dans l'horreur.
Le 30 août, le Califat Noir, après avoir détruit le temple de Baal Shamin dans la cité antique de Palmyre, a rasé le temple de Bêl dernier joyau de la "Perle du Désert".
Un vent de suie noire gomme un peu plus chaque jour notre patrimoine mondial d'humanité. Ce qu'il en reste.
L'ombre avale la clarté.
Jetant sur les routes de l'exil des milliers de ceux que l'on nomme désormais pudiquement des "migrants" ou des "réfugiés", après les avoir longtemps appelés des "clandestins"...
Avant que je ne quitte, sans regret, l'île triste et douloureuse des Territoires du Crabe, avant que je ne me retrouve, une fois la quatrième et dernière porte franchie, sur ses rivages vides, faits de rochers fiévreux et de ressac d'écumes, face à un océan où je veux enfin pouvoir embarquer pour des horizons clairs et vastes, avant que je ne sois enfin libérée des carcans et fardeaux qui m'ont amoindrie et amputée, voici que le berceau de notre antique civilisation, cette Méditerranée aux eaux d'un bleu si dense et si particulier, a déposé sur nos plages douces de sable blond, parmi les déchets que chaque pays rejettent en abondance, les corps sans vie de ceux qui ont cru un instant que l'Europe et ses mirages allaient sans doute les accueillir à bras ouverts, et les protéger de la force dévastatrice et sanguinaire d'un obscurantisme radical, aux formes floues et fluctuantes, tache d'huile, visqueuse, gluante et noire, que nos nations et leur gouvernements arrogants ont fait naître, et même aidée...
Ce mercredi 2 septembre 2015... deux petites semelles claires, même pas usées, à bouts bien ronds, deux petits pieds, sagement posés dans leurs chaussures d'enfant, l'un contre l'autre, sur le sable doré et mouillé. Un bambin gît, que l'on croirait simplement endormi, bercé par l'écume tiède.
Petit Dormeur du Val...
"Nature, berce-le chaudement : il a froid." (A. Rimbaud)
Vision en boucle qui a retourné les cœurs de tous ceux qui jusqu'à présent ne prêtaient aucune attention à ces nouveaux "boat people" fuyant la guerre... mais qui vont oublier, de toutes façons, d'ici quelques jours.
L'actualité, la Coupe du Monde de Rugby et les "affaires" à la Fifa, vont chasser l'horreur de nos courtes mémoires.
Et aussi parce que, répète-t-on, sans vraiment savoir si cela est vrai, ou pas tout à fait, "on ne peut pas accueillir toute la misère du monde"... Petite phrase sibylline de M. Rocard... qui se coule à pic dans cette "crise migratoire". Comme ces naufragés d'infortune.
Et les vieux démons resurgissent, se glissant dans les foules anonymes...
Toute la misère ? Certes non.
La misère a tellement de visages !
Mais des humains qui fuient leur chez eux, comme nous le ferions nous-mêmes si la guerre frappait dans nos villes et campagnes.
Le docteur L. Ektra m'a encore reçue, juchée sur des stilettos, mais de couleur vert mousse cette fois.
Mercredi 9 septembre 2015
Ce matin, très tôt alors que l'aube n'avait pas encore jeté ses premières lueurs blanchâtres sur la nuit finissante, j'ai été réveillée par les bruits métalliques et très sonores d'une remorque qui brinquebalait sur la petite route, au pied de la colline... Quelques minutes plus tard c'est un gros ronflement caractéristique qui ne m'a pas permis de me rendormir tout de suite : une machine à vendanger !!!
La toute première de la saison.
Je n'ai pas vu passer l'été.
Puis ce furent les kiwiit kiwiit de la chevêche, qui doit nicher dans un de nos chênes près de la maison.
De l'autre côté de la combe, c'est une hulotte qui hululait... Les animaux de la nuit regagnaient leur gîte, entre chien et loup.
Je suis restée au lit longtemps. Profitant du calme et de la tiédeur de la couette. Essayant de rassembler mon corps et mes esprits en une seule entité suffisamment centrée et forte, afin de pouvoir encore me lever pour aller affronter une dernière fois l’œil unique du cyclope de l'Elekta à rayons X.
Mon ultime trajet vers Agen et la Machine est pour tout à l'heure.
Je le redoute et je l'attends car je n'en peux plus.
Dans quelques heures je passerai le seuil de la quatrième et dernière porte, avant de me retrouver, je l'espère, à l'air libre, embarquée par l'appel du large !
Mais pourtant, déjà, la date anniversaire du 11 septembre 2001 a fait surgir en moi les nuées sombres du souvenir de cette journée-là tellement énorme qu'elle en fut presque irréelle et j'ai le sentiment que quelque chose va obscurcir le ciel de mon bel optimisme...
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