Et Vint la Pluie

Monsieur Darling

Vendredi 7 août 2015 au soir.

Cinq minutes avant les 19 heures sonnantes, arrive tout en douceur sur notre parking de terre plus ou moins battue, une berline noire aux vitres fumées. Le petit panonceau "Taxi" est allumé en rouge.

Un monsieur tout fin, tout discret, tout sourire et tout gris petite souris, en sort et nous nous saluons en nous présentant.

C'est Monsieur Darling. Tenue passe-partout, polo clair et pantalon sombre. 

Il parle tout bas.

Alors que je me dirige vers la voiture, il s'interrompt vite et court pour m'ouvrir la portière en veillant à ce que je ne glisse pas, ne tombe pas, ne trébuche pas...

Puis il incline mon siège, le rapproche, attache ma ceinture...

Je n'ai pas l'habitude ! 

Et je me sens tout d'un coup comme si j'étais encore plus malade, encore plus vieille.

Mais Monsieur Darling ne fait que son boulot. Et il le fait bien.

Prix de la course.... !
Prix de la course.... !

Ses mains longues, aux attaches fines, posées sur le volant, il m'explique qu'il n'est pas juste un chauffeur de taxi.

Qu'il ne va pas me "déposer" à mon lieu de rendez-vous, car je ne suis pas un "paquet", mais qu’il est là pour m'accompagner. M'attendre. Etre présent au cas où, le cas échéant...

Il a une charte de conducteur de VSL avec trois priorités dont le passager est le centre : la sécurité du passager, le confort du passager et la ponctualité pour le passager (à cause des rendez-vous)

 

Conduite souple et sans stress. Le moteur ronronne comme un gros chat sous le capot.

Le GPS intégré suit et précède notre route. Le compteur tourne. La climatisation est douce.

Monsieur Darling a éteint la radio. 

Le téléphone sonne parfois et le bluetooth, intégré lui aussi, permet à Monsieur Darling de répondre sans toucher au téléphone et sans l'oreillette désormais interdite. 

Pour respecter la vie privée de chacun il se contente de répondre qu'il rappellera dans 40, 30 ou 10 minutes, selon notre avancée sur le trajet.

 

Je n'ai pas l'habitude de ce genre d'habitacle ouaté et moderne : notre Kangoo a une dizaine d'années. Je découvre donc tout ceci dans un silence scrutateur et intéressé.

 

Chemin faisant, la glace se rompt vite et la conversation va bon train.

 

Il a été le chauffeur d'un vieil ami, dont la vie a été subitement écourtée par un cancer virulent, douloureux et rare.

Monsieur Darling l'aimait beaucoup, et c'était réciproque.

Non loin de notre colline
Non loin de notre colline

Il en parle avec nostalgie, les haltes qu'ils faisaient parfois tous deux, pour acheter des fruits à un agriculteur au bord de la route, pour cueillir quelques kakis bien mûrs dont le propriétaire se désintéressait et pour la glane desquels il avait donné son feu vert, pour observer tranquillement un chevreuil, un faisan, une aube éblouissante ou un coucher de soleil somptueux...

Kakis (ou plaquemines)
Kakis (ou plaquemines)

Il confirme que notre ami savait qu'il n'en avait plus pour longtemps et s'amusait de voir sa femme faire semblant de croire l'inverse... Il lui disait, comme il nous le disait également, qu'il voulait juste profiter des dernières couleurs, des parfums et saveurs que la vie lui offrait, de ces derniers moments entre amis, de ces derniers petits bonheur, petits plaisirs, petits riens...

Revenus au domicile de notre ami, il n'était pas rare que ce dernier entraîne Monsieur Darling voir ses poules et son coq, ses derniers compagnons animaliers après la mort de son lapin et de son chien qui l'avait durablement et durement affecté.

 

Monsieur Darling me parle aussi de sa fille.

Et moi de la mienne.

De son métier.

Et moi de ce que fut le mien.

De l'ancien temps, et du nouveau.

 Des gendarmes qui guettent souvent dans le petit chemin discret, près de l'antenne des relais téléphoniques que nous dépassons.

D'une "biche" à la lisière d'un bois, au loin et que je discerne à peine : il a meilleure vue que moi !

Il s'arrête car il a vu un chat sur la route et lui laisse le temps de se faufiler sous le couvert d'une haie.

Plus loin c'est une buse perchée sur un ballot rond de paille qui guette ses proies... Et qu'il me désigne du menton.

Au retour, la lumière prend des teintes cuivrées, les ombres s'étirent sur les grands champs moissonnés et des nuages encore incertains s'effilochent.

Puis , la lumière a pris des nuances de roses, de violet et de pourpre et des nuages de gris souris et de suie se sont amoncelés avant de se tasser vers l'est.


Le crépuscule s’apprête à effacer les couleurs. Je baille beaucoup pendant les derniers kilomètres, mes paupières s'alourdissent et j'ai envie de dormir.


J'ai aimé ce trajet. Il fut une belle balade tranquille.

Plateau de l'agenais
Plateau de l'agenais

Monsieur Darling s'est garé presque exactement au même endroit qu'au départ.

Et comme au départ il s'empresse de venir ouvrir ma portière et m'aider à descendre.


Lou, depuis la veille a commencé à charger son Kangoo jaune "la Poste" pour le vide-grenier du 15 août...

Il devra penser à fermer ses portières car des relents de pluie s’annoncent dans l'air.


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