Ultime Péage

Ce mercredi 9 septembre 2015, la 4ème et ultime porte est franchie.


Simple porche de cailloux posés les uns sur les autres, fragile et dépouillé tel un squelette de pierres, colonne vertébrale courbée au-dessus du vide, dominant un horizon invisible, mais que je pressens grand ouvert sur le vent du large, les terres lointaines, les embruns iodés, et les promesses de tous les possibles.

 

Je suis pourtant encore là, sur le rivage nu de cette île, à la merci des Territoires du Karkinos, de ses poisons et sortilèges.

Car rien n'est encore fini. Je le pressens. On m'a juste débarrassée de mes chaînes et boulets.

 

Je reste là, debout, y croyant à peine, un peu sonnée.

Je dois reprendre mon souffle court, étouffé par le cisaillement de la cicatrice sur ma poitrine, sur la corde d'un précipice noyé de brumes et face à l'inconnu.

 

J'ai la tête qui tourne.

La bouche sèche.

Vertige.

 

Et puis j'ai  cette curieuse et déroutante sensation d'être comme une petite crotte dure, longuement malaxée et triturée, sans ménagements, par d'interminables intestins et cloaques, que le grand corps médical, qui en a enfin terminé avec moi, aurait finalement expulsée, entre deux mondes, sur une plage déserte de sable détrempé dont l'horizon aurait été gommé.

Pourtant, je n'ai pas peur.

Je me fais confiance, je vais me relever, me redresser, me rassembler. C'est juste une question de temps.

 

Mais en cette minute, cet instant, ce jour, mon corps va mal.

Petit Corps malmené qui n'a guère eu l'occasion de se reconstruire mais seulement de se préserver comme il a pu, des coups de butoirs du Phacochère Noir, des griffes et dents du Fennec Rouge, du fil tranchant de la lame de l'épée et des rayonnements répétés et irrémédiables.

Petit Corps blessé. 

Je ne suis pas encore tout à fait libre et je le sais.

 

Il me reste encore à passer un dernier péage.

Je ne sais pas lequel, ni où il est.

Mais avant d'être quitte, je sens que je vais devoir m’acquitter encore d'un ultime octroi à la Bête invisible et sournoise qui m'a habitée pendant de longs mois.

 

On ne repart pas indemne d'un tel voyage sur les Territoires du Crabe.

Odilon Redon - 1881 "Araignée qui sourit"
Odilon Redon - 1881 "Araignée qui sourit"

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