Ultime Péage

Peur sur la Colline

Le lendemain, mardi 22 septembre 2015 est une agréable journée en perspective.

 

Parce que le temps est encore au beau, ensuite parce que j'arrive à me lever et même si c'est aussi douloureux que la veille, je peux enfiler ma veste framboise en laine polaire toute seule et descendre de mon "pigeonnier" pour prendre décemment mon petit déjeuner.

Ce même jour, un copain virtuel, que je vais simplement appeler Le Troll (un surnom qu'il doit à sa caravane de la même marque que la nôtre, une Eriba pour ne pas la citer), doit passer nous voir dans l'après-midi pour fêter au champagne la fin des traitements : cela fait une semaine qu'il devrait être parti vers l'Espagne avec ce qu'il nomme lui-même son "studio à roulettes" mais, il tourne dans les parages en espérant pouvoir enfin passer chez nous et me voir debout !... Et faire notre connaissance. En vrai. En chair et en os.

Cette visite me semble beaucoup trop prématurée car je tiens à peine sur mes deux pattes et la fatigue me terrasse encore, mais il a tellement insisté...

 

En fin de matinée, un petit tour sur la colline s'impose. L'humeur est belle, le soleil filtré par des nuées grises, mais encore doux.

Partout autour, sur le plateau et dans la plaine, les machines à vendanger ronronnent et des remorques brinquebalent bruyamment transportant leurs cargaisons de billes noires, juteuses et sucrées, en laissant derrière elles des flaques et filets d'un jus sombre, lourd et violet, qui imbibe l'asphalte d'encre et de puissantes effluves grisantes.

Mardi 22 septembre - petit "look" de japonaise...
Mardi 22 septembre - petit "look" de japonaise...

Des senteurs âcres de feu de broussailles commencent aussi à monter depuis la vallée, marquant ainsi le début de l'automne et des feux d'écobuage ou des premières flambées dans les cheminées. 

Au bord du sentier, des bolets des pins sortent leurs têtes rondes à la couleur de chamois et sous la futaie, plus loin ce sont les grands chapeaux des amanites ovoïdes, blanches, satinés et frangées de haillons de dentelles qui ont éclos sous les aiguilles des pins  

amanites ovoïdes (ou oronges blanches) *comestible très médiocre et à ne pas confondre avec Amanita proxima (Amanite à volve rousse ou amanite proche) qui est mortelle
amanites ovoïdes (ou oronges blanches) *comestible très médiocre et à ne pas confondre avec Amanita proxima (Amanite à volve rousse ou amanite proche) qui est mortelle

Lou fait une petite sieste, et je suis sous la douche. Nous attendons Le Troll qui ne devrait plus tarder.

 

Bien sûr je lui ai expliqué, inquiète, la difficulté qu'il allait devoir affronter à manœuvrer sur notre colline avec sa caravane : le chemin, sans issue, ne laisse le passage qu'à un seul véhicule, et encore faut-il qu'il soit de dimension modeste, quant à notre cour, elle permet seulement à une voiture de faire demi-tour, mais certainement pas attelée à une caravane.

Heureusement, lui dis-je, nous avons une autre cour, un peu plus "manœuvrable,  devant  l'ancienne ferme du "hameau", là où "résident" notre toute petite caravanette Puck  et sa grande sœur la Roulotte ! A condition... que sa voiture soit assez puissante pour tirer sa grande caravane jusque "là-haut", non que le dénivelé soit terrible mais l'accès se fait par un simple chemin de terre.... et un sacré virage au départ de la montée.

Or... il a parlé de plus d'une tonne à tracter au téléphone !!!

Cet engin n'est pas à lui !...
Cet engin n'est pas à lui !...

Notre ami Le Troll se veut néanmoins rassurant. 

Il en a vu d'autres et notre colline ne lui fait pas peur. Je n'ai pas de soucis à me faire.

Et devant mes doutes et  mon inquiétude, il me surnomme même en riant "Sœur Marie des Angoisses" !

Ce qui ne me fait pas vraiment rire... 

Car, je connais bien notre chemin et ses difficultés : nous y avons vu quelques camionnettes et camions égarés, perdre les pédales pour en sortir à reculons ! Certains y ont laissé leur rétroviseurs, et l'un d'entre eux y a même fracassé sa rehausse !

Je n'ose pas trop insister néanmoins, de peur de froisser son âme de baroudeur expérimenté avec mes velléités de petite vieille femme malade et mal en point.

En fait, Le Troll, je ne l'ai jamais vu que sur une photo où il apparaissait comme un vieux biker ou un beatnik barbu de la première époque : nous n'avons fait qu'échanger amicalement par courriers électroniques et téléphone. C'est la première fois que nous allons nous rencontrer "en chair et en os". 

 

Je suis encore sous la douche, où je me prélasse un peu avec délice, lorsque j'entends un bruit de moteur ! Je réalise aussitôt que quelque chose cloche ! Le bruit vient de la cour devant la maison ! Lou n'a pas eu le temps de l'arrêter et Le Troll, malgré mes recommandations, s'est engagé jusqu'au bout du chemin !

Le voici dans la nasse !

 

En effet, lorsque j'émerge de la salle d'eau, je ne peux que constater par la fenêtre de la cuisine que l'attelage, beaucoup trop long, est coincé dans notre cour... et que nulle manœuvre ne va être possible. Lou est en train de se rendre compte de la même chose, et prend la mesure de la situation.... C'est qu'à côté de notre petite "puce" de caravane, celle-ci, une Troll donc, est un vrai "monstre" (d'où son nom...) !

 

Il n'y a plus qu'une chose à faire : dételer et tenter de "garer" tant bien que mal le "studio à roulettes" de "notre" Troll.

Je propose de souffler d'abord un peu, de prendre une pause et de réfléchir calmement à la situation, d'autant que pour couronner le tout, la pluie se met à tomber, mais... sans attendre les deux hommes s'attellent à la bête !

Elle ne veut rien savoir et ne bouge pas d'un poil. Ou presque.

Une averse encore plus brutale se met à déverser ses rideaux d'eau sur nous.

Je ne peux rien faire sur mes deux jambes flageolantes, et comme la Troll n'avance ni ne recule, je rentre me mettre à l'abri.

Mais à peine ai-je mis un pied dans la maison que j'entends un hurlement !!!

Un regard par la fenêtre me suffit : la caravane a roulé jusqu'à l'extrême bord de la cour, elle semble avoir été arrêtée par un arbre, Lou est par terre, et Le Troll a disparu !

Panique.

Cœur au bord des lèvres.

 

Je ressors à la course. Lou s'est déjà relevé. La caravane ne bouge heureusement plus. Mais son cul est engagé au-dessus du jardin qui est en contrebas.

 

Et le copain a disparu.

 

Lou est déjà dans le jardin. Moi j'ai contourné la caravane.

Et "notre" Troll est là, en dessous, entre les pieds de tomates et le tas de compost : couché sur le dos, totalement immobile.

Il a les yeux fermés et ne respire plus !

Pendant dix secondes entières, et bon Dieu que c'est long dix secondes parfois, nous le croyons mort.

 

Tout ça n'a pas duré cinq minutes !

 

Enfin il ouvre les yeux et bouge un peu. Nous respirons. Mais a-t-il quelque chose de cassé ? 

Nous lui demandons s'il a mal quelque part. il ne répond guère, mais il bouge, jambes et bras. Il demande à Lou de l'aider à se relever. Est-ce prudent ? "Sœur Marie des Angoisses"... angoisse à l’idée qu'il ait une fracture ou pire une lésion interne.

Une dizaine de minutes après il est assis, sur les pierres du muret au bord du jardin et tente de retrouver son souffle : il a une crise d'hyperventilation qui nous fait craindre que le pire ne soit pas encore passé.

La pluie a redoublé d'intensité.

Lou reste avec lui et je retourne dans la maison, très inquiète.

A peine suis-je entrée que voici les deux hommes à la porte de la maison et Le Troll qui a encore le souffle très court, brandit une bouteille de champagne, frappé mais même pas secoué par la mésaventure, afin que nous portions aussitôt un toast pour fêter la fin des rayons, des traitements et du lumbago !!! et j'ajouterai sa fracassante arrivée !

 

Nous trinquons, encore sous le coup de cette grosse frayeur, et sous le coup de l'étonnement que rien ne soit cassé, ni les jambes, ni les bras, ni le dos du Troll, ni même la caravane que Lou a malgré tout réussi à faire éviter le tronc d'un chêne à quelques centimètres près au moment où elle leur a échappé !

Comment la sortira-t-on de ce traquenard ? Je ne sais pas. Les garçons non plus d'ailleurs.

Le champagne nous a euphorisés quelque peu et nous partons montrer la colline à "notre" Troll barbu, car la pluie a enfin cessé.

Lui et moi papotons un peu dans la roulotte, pendant que Lou est retourné à la maison, pour trier et nettoyer les girolles trouvées dans les bois le matin même et avec lesquelles il nous fera une bonne omelette.

Dans l'après-midi qui s'achève, nous prenons le thé.

Puis pendant que Lou concocte pour le dessert de ce soir une tarte aux figues, Le Troll s'installe à table et consulte ses mails avant de nous inviter à la visite du fameux studio à roulettes avec lequel il voyage et qu'il a stabilisé pour la nuit avec trois vérins sur quatre, le dernier étant dans les pierrailles du bord du jardin.

 

Je suis impressionnée, malgré le désordre ambiant de ce presque vieux garçon, par l'aménagement intérieur, tout en bois blond, placards, armoires, frigo, coin cuisine, chambre et petit salon... et cabinet de toilette. Un capteur solaire sur le toit, une antenne parabolique viennent compléter le confort de cette grande et lourde caravane. Le mot "studio" est conforme. On est un peu loin de l'idée que Lou et moi nous faisons du concept de camping.

 

Notre mini caravane "Puck" est à côté de cette "Troll" une simple tente améliorée. mais c'est justement ce côté léger et cet esprit "bivouac" qui la caractérise qui nous l'a fait choisir.

A chaque caravanier sa caravane !

 

Il y dormira cette nuit : c'est lui qui l'a décidé ainsi et nul ne pourra le faire changer d'avis. C'est sa maison. Il nous concédera seulement le privilège de prendre sa douche dans la salle d'eau que nous lui avions préparée, celle attenante à la Roulotte.

 

Pendant le repas du soir Le Troll barbu nous parle un peu de lui, de sa vie qui ne lui a pas souvent fait de cadeau, des écoles militaires où il a passé une bonne partie de sa jeunesse, le prytanée de La Flèche, de l'Algérie où il fut envoyé, des scouts, de la préparation à St Cyr.... Quelle vie !

 

Mais je ne tiens plus debout. Ni même assise.... Je suis épuisée. Il me faut m'allonger et dormir !


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