"L'After"

Un an après... 

7 Janvier 2016

Je sors d'une douche bien chaude, et dans la buée moite empreinte de senteurs savonneuses à l'essence de rose, la grande serviette tiède posée sur mes épaules, je prends appui sur le bord du lavabo et tente péniblement de retrouver mon souffle que cette espèce de câble virtuel qui m'enserre la poitrine et le thorax me coupe, tout en me sciant en deux.

 

Il y a un an, au même instant, je sortais de ma douche tiède et parfumée, j'étais en pleine forme, ne sachant pas encore qu'un cancer, un bête cancer du sein, ordinaire et banal, allait me faire chavirer dans un monde inconnu et morbide, pour une durée indéterminée.

La vie a de ces hoquets... !

 

Il y a un an au même instant Lou s'écriait "Oh putain !"... "Ils" avaient tiré sur la rédaction de Charlie Hebdo. Et nous découvrions avec stupeur, l'horreur d'une année de noirceurs qui démarrait.

 

Un an après, jour pour jour, je suis encore au fond du trou, percluse de douleurs et mon corps est totalement délabré.

Et la peur d'un avenir incertain et aussi sombre que le ciel tourmenté de ces derniers jours pèse sur mon échine et mes épaules qui n'ont pas besoin de ça pour aller mal.

 

Je voudrais penser que l'année qui s'ouvre va défaire ce réseau de nœuds et laisser entrevoir, de plus en plus vastes, de plus en plus larges et profonds des horizons clairs.

Ce sera l'année du singe bientôt... en février. 

Le Singe est un malin, effronté et exubérant ! Il a de l'humour et de l'esprit : juste ce qu'il faut pour traverser les remous, et les périodes difficiles avec grâce et aisance.

 

11 Janvier 2016

Il y a un an, jour pour jour, soulevée par l'émotion les gens se rassemblaient dans la rue. Les chefs d'Etat aussi. 

Depuis les attentats suicides, les folies meurtrières, se sont succédé à intensité dans l’horreur et rythme croissant.

 

David Bowie Lazarus ---" Look up here, I'm in heaven I've got scars that can't be seen"
David Bowie Lazarus ---" Look up here, I'm in heaven I've got scars that can't be seen"

Et pour moi, pour nous, les "noiraudes" ont fait leur apparition dans ma vision de la vie. Ce jour-là, j'avais déjà compris que j'avais un cancer.

Que ma petite vie tranquille allait devenir autre, dans cette charnière forcément douloureuse et à double sens.

 

Car le cancer est immortel, les cellules cancéreuses sont immortelles... Et de cette immortalité, notre corps qui les a fait naître et les abrite, meurt ! Quel paradoxe.

Ce lundi matin 11 janvier, la radio nous apprend que le cancer, toujours lui, a envoyé David Bowie se perdre au fin fond des étoiles...

 

Ce lundi matin du 11 janvier, j'ai fait le tour de ma colline, saluant les pins et le romarin toujours en fleur, toujours chargé d'abeilles.

 

Un circaète Jean le Blanc a soudain surgi par-dessus les chênes faisant une élégante et lente pirouette, offrant son plumage clair, sous les ailes, au soleil ! Je suis restée immobile, silencieuse, à le contempler.

Il a disparu comme il était venu.

C'est alors, que, sur ma droite, trois corneilles sont sorties de par-dessus les pins sylvestres, silencieuses elles aussi dans un étrange et court ballet triangulaire.

 

Ce lundi matin 11 janvier, peu avant midi, alors que je bouclais le tour de la colline, Lou est tombé d'une échelle où il était en train d'élaguer un arbre. Cabrioles...

Il ne s'est pas vraiment fait mal, quelques égratignures : heureusement le Singe et ses facéties d'équilibriste lui ont sans doute épargné le pire.

 

Un peu avant 13 heures une ambulance est venue me chercher pour m'emmener à Cahors : je dois passer une radiographie de mon thorax en bouillie, ainsi que, déjà, les premiers contrôles (mammographie et échographie).

 

Rien n'est joué.

Des nuages fous passaient en rangs désordonnés, roulés boulés, au-dessus du plateau jusqu'à ce qu'un orage éclate.

Nous sommes en alerte "vents violents et averses".

L'ambulance trop neuve cahote sur nos routes de campagne et les virages enchaînent avec les boucles : je suis malade ainsi ballottée en tous sens et couchée à contre-sens... Je vois défiler des cieux tourmentés tantôt très noirs puis soudain d'un bleu métallique. La pluie zèbre les vitres teintées. Puis, éclate le soleil, en arcs-en-ciel légers, au-dessus des labours bruns ou crayeux et des pointes de toits de tuiles roses.

 

Le GPS de "mes" ambulanciers les trompe et les emmène dans des ruelles où l'ambulance ne peut passer. Nous tournons un peu en rond, nous ratons un rond-point ou une sortie. Mais nous arrivons à l'heure, à bon port et dans la bonne humeur.

Commence alors la gymnastique pour moi : descendre du brancard en pleine rue, sous la pluie, devant une file de voitures qui attend patiemment, car l'accès au parking du Centre d'Imagerie Médicale nous est interdit à cause de notre gabarit, puis  gravir les quelques marches de l'entrée principale car aucune rampe "accès handicapé" n'est prévue ! Le bâtiment est moche, gris, lépreux.

Ascenseur ensuite, puis secrétariat, papiers... et salle d'attente où mes deux "garde du corps" en uniforme bleu marine m'accompagnent.

 

Je n'attendrai pas longtemps et une manipulatrice aux hanches carrées, et au sourire absent coincé entre deux mèches de cheveux longs et mous, vient me chercher. 

Droïde D2R2
Droïde D2R2

Je dois me déshabiller complètement, dans une petite cabine puis aller me mettre debout et "bien droite" contre une plaque froide... Moi qui me tiens à peu près comme Quasimodo ! Elle ne me voit pas, je lui suis "invisible" : un "objet" sur lequel elle va accomplir son boulot sans âme. Autour de moi le bras du "robot", (il s'appelle D2R..S... ) se positionne.

 

La manipulatrice égrène sans état d'âme, d'une voix monocorde et plate, "ne bougez plus, ne respirez plus, respirez, ne bougez plus, ne respirez plus, respirez". Ça n'en finit pas et je ne sais plus où j'en suis dans ma respiration : je reste souvent en apnée d'autant que j'ai du mal à respirer avec mon thorax coincé dans son corset de fonte ! "Dyspnée" à noté le docteur...

Elle sort de la cabine de temps à autre pour me faire prendre des postions encore plus acrobatiques... sans jamais un regard ou un mot.

 

Enfin : "Vous pouvez vous rhabiller et aller dans la salle d'attente."

 

 

Mes ambulanciers sont contents de me voir revenir "ce n'était pas long !"

 

Une autre manipulatrice, toute frisée comme une salade, mais toute aussi absente vient me chercher pour la mammographie. Il me semble que c'est la même femme qui m'a martyrisée l'année dernière.

Les plaques en "verre" froide de la machine à aplatir les seins m'attendent. Il y a une vague odeur d'aigre et de sueurs. Salle de torture oblige...

La dame frisée prend mon sein droit sans ménagement, le seul qui me reste et le jette comme une vulgaire escalope sur une balance avant de rabattre l'autre plaque par-dessus. L'opération ne dure que quelques secondes puis elle se met en devoir de l'aplatir dans l'autre sens tout en voulant insérer mon Port-à-Cath® en même temps que le sein ! Elle est folle !

Je lui intime l'ordre d'arrêter ça tout de suite, car non seulement ça me pince violemment me faisant horriblement mal, mais elle va le casser en deux !!! Elle n'est pas contente :

"Je ne pourrai pas avoir tout !

- Il y aura bien assez dis-je ! Il n'y a pas de ganglions à ce niveau !

- Il est placé très haut et très proéminent !

- Je sais. Mais ce n'est pas moi qui l'ai mis là, il faut qu'il y reste et en bon état."

Ce fut le seul dialogue que nous avons eu.

Elle s’exécute donc et détend la pression des plaques pour retirer ma portion d’épaule où est incrusté le petit réservoir implanté. La peau autour est devenue toute rouge !

Le cliché sera pris et bien pris. Comme je l'avais prédit.

 

Je passe ensuite dans la cabine de l'échographie où je retrouve le monsieur dont la figure s'allongeait l'an dernier au fur et à mesure que glissait l'appareil enduit de gel froid.

Cette fois tout va bien. Et il s'empresse de me le dire. C'est un peu le seul être humain que j'ai vu.

 

Je rejoins mes gardes du corps et nous attendons environ vingt minutes les résultats écrits.

 

Enfin la secrétaire de l'accueil m'appelle et me tend sans un mot une grande enveloppe blanche.

Je suis étonnée : le radiologue ne veut pas me voir pour me dire les résultats ?

"Il n'a rien dit. C'est que tout va bien sinon il aurait demandé à vous voir."

En effet l'an dernier, j'avais été immédiatement avertie que la "chose était suspecte et que rendez-vous avait déjà été pris auprès de mon médecin".

 

Je récupère ma carte Vitale, mon enveloppe et pars donc confiante et rassurée.

Petit SMS aux proches et amis...

Mais... C'est l'année du singe qui arrive. Le singe et ses facéties... 

 

Au retour nous évitons des arbres couchés sur la route par de violentes bourrasques qui ont balayé le plateau pendant que nous étions en "imagerie médicale".

Un immense arc-en-ciel salue notre retour sur la colline et je ne peux m'empêcher d'y voir un signe, optimiste...

 

Je suis épuisée. Vite prendre l'air de la colline et faire refluer les nausées que le retour dans cette même position couchée ont fait renaître. Puis un thé : je meurs de soif.

Enfin au calme retrouvé je sors les résultats de l'enveloppe et commence à lire.

 

Rien ne va.

Je suis tordue, retordue, torsadée presque, cyphoses, lordoses, scolioses et j'en passe, déminéralisation importante, ostéoporose, pincements et... le mot que je ne voulais pas voir est là : tassements vertébraux.

"Le tassement vertébral entraîne une fracture du corps de la vertèbre qui se traduit par une diminution de sa hauteur."

Quatre vertèbres de mon thorax semblent ainsi "fracturées" : T7, T9, T10, T11.... et une ligne ajoute que sans doute les lombaires qui suivent le sont aussi mais que c'est difficilement visible.

 

La conclusion est brève, elle tient en deux lignes, mais lourde de sens :

"Tassements vertébraux étagés.

Un bilan complémentaire par IRM permettra de préciser l’étiologie de ces tassements (ostéoporotique ou autre)."

 

Et par "autre" il faut entendre "métastases osseuses du sein" ou un autre genre de cancer... un myélome multiple par exemple.

 

De toute façon dans ces deux cas c'est d'un cancer dont on parle et l'on sait que, myélome ou métastases, les deux ne sont pas curables. On peut les traiter pour les ralentir, empêcher les douleurs... Mais la fin est toujours la même à plus ou moins longue échéance. Et elle est douloureuse.

J'ai vu ma mère partir avec un myélome. J'ai vu ses souffrances. Et encore, pas toutes !

 

Je suis donc posée là, comme une vieille épée rouillée, rougie par le feu, entre le marteau et l'enclume.

Une ostéoporose galopante pourrait-elle être la meilleure des deux conclusions ? Sans doute.

Mais encore faudra-t-il trouver une solution pour l'arrêter et me permettre de vivre correctement.

Une drôle d'année qui commence.

 

Le 13 janvier, pile poil un an après le diagnostic à peine voilé, je suis de nouveau #groggy

 

Lou est allé chercher la demande d'examen IRM auprès du Dr Garrigue qui nous a gentiment prévenus que pour un tel rendez-vous, il faudrait sans doute attendre environ trois mois quel que soit le centre choisi dans tout Midi-Pyrénées et Agenais...

Attendre ainsi que le couperet tombe, ou non, jusqu'à mon anniversaire ?

C'est impossible.

 

Après concertation, Lou, qui a les idées plus claires que moi ce matin (et c'est souvent le cas !), et moi, nous décidons d'appeler le secrétariat du service d'oncologie du DrG. Lagerbe, pour qu'ils fassent les démarches en interne, avec tout mon dossier.

La secrétaire a été très compréhensive et très efficace. Elle m'a mise en communication avec la secrétaire du service radiologie, tout aussi efficace et sympathique, j'ai envoyé comptes rendus de la radio et demandes d'examen en pièces jointes d'un simple courriel et tout s'est fait en une grosse heure !

J'ai réussi à décrocher ainsi une IRM pour le 4 février : dans trois semaines. C'est plus raisonnable. Trajet prévu en ambulance...

 

Demain une nouvelle prise de sang, mais pas avec Brienne de Torth, pour vérifier et infirmer si possible, la piste noire du myélome multiple.

Le 16 février un examen densitométrique osseux.

Et j'ai toujours le rendez-vous avec le chirurgien prévu pour le 21 janvier. 

 

Je n'ai plus qu'à faire ce que je peux pour prendre le meilleur de chaque jour, de chaque instant, et laisser les inquiétudes de côté, car de toute façon, ces examens diront ce qu'ils ont à dire, mais cela ne changera rien à ce qui m'attend...


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