Largage

Mademoiselle Aldebert

Mes tout petits cheveux continuent à déserter ma tête. Ça ne se voit guère.

Mais je trouve des dizaines de ces petits picots, comme de toutes petites aiguilles argentées, un peu partout sur ma table, mon clavier ou sur mon pull.

J'aime à m'enduire la tête d'huile de soin à l'aloé vera et à la verveine...

Sous mes mains c'est dru ! Un peu rugueux si je les prends à rebrousse-poil... Tout doux et disciplinés dans le bon sens.

J'ai plaisir à sentir la forme de mon crâne sous mes doigts. Je ne l'ai jamais senti ainsi auparavant. 

 

Entre cette nouvelle tête de "lièvre de mars" que j'apprivoise et cette grippe mal-venue qui me compresse le crâne, je m'habille n'importe comment.

C'est un vrai parti pris.

 

Des oripeaux informes passés les uns sur les autres, pour leur confort. Je me coule là-dedans comme dans une couverture.

Pour sortir c'est pire !

J'ai un vieux blouson bibendum noir, matelassé de duvet, très chaud, dans lequel j'entre comme dans un sac de couchage.

Hélas trop court : il s'arrête à la taille, laissant dépasser mes pelures en dégradé !

Comble de l'élégance, je me coiffe d'une chapka noire en molleton ! 

 

Lorsque j'étais enfant, en Lozère, il y avait une vieille femme qui vivait en-dessous de chez nous, dans une maison massive de pierres grises et de lauzes presque noires. Parfois elle mettait sa tête au fenestrou qui donnait sur la placette où j'allais chercher l'eau potable à la fontaine.

Elle avait sur sa tête noiraude une espèce de bonnet fait de plusieurs épaisseurs, tirées de vieilles mantes hors d'âge et cousues ensemble comme une grosse gamelle noircie au feu... 

 

Elle me faisait très peur cette "Mademoiselle Aldebert". C’était son nom.

 

Elle avait pour habitude de jeter le contenu de son "pissadou" par le fenestrou qui donnait sur la ruelle où je passais pour aller chercher l'eau, ce qui conférait à la ruelle une odeur piquante ammoniaquée particulière... Je faisais très attention en passant par là !

 

Parfois, Mamie et la Tante Laure allaient chez elle, et j'étais de la visite.

Il faisait noir chez mademoiselle Aldebert. Comme dans le cul d'un chaudron.

Tout sentait la vieille fumée et la suie là-dedans.

Et la Demoiselle sentait le vieux pissat...

Elle me donnait, invariablement un biscuit sec tout mou avec un vague goût de savonnette...

 

Avec ma chapka noire et mon blouson bibendum... je m'effraie de penser... que je lui ressemble !


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