ÉTÉ PRECOCE

Au seuil de la deuxième porte

Après avoir longtemps erré, parfois désespéré, dans les deux territoires arides et brûlants du Fennec Rouge (FEC 100) et du Phacochère Noir (Taxotère®), chacun avec sa spécificité et ses lourdes conséquences, je touche au seuil de la deuxième porte.

 

On peut dire qu'ils m'en ont fait baver des ronds de chapeau, ces deux lascars !

 

Combien de fois, les ai-je voués aux gémonies, le Rouge avec son horrible tord-boyau de feu et sa horde de trolls plus sournois les uns que les autres, et le Noir avec ses sautes d'humeur, ses défenses recourbées et implacables ainsi que sa féroce alliée, la sorcière Yamanba au chaudron de lave bouillante !

 

Combien de fois ai-je pensé rebroussé ce chemin tortueux, escarpé et semé d'embûches et d'aiguilles empoisonnées !

Et pourtant, chaque fois, finalement, malgré, ou peut-être grâce au museau humide et aux immenses oreilles du Fennec qui semblaient m'attendre, grâce aux petits yeux noirs du Phacochère, qui scrutaient mes hésitations, j'ai renoncé à cet abandon pour continuer ma route, encore et encore.

Me relever, regarder plus loin.

 

Et surtout repenser ma vie enfin débarrassée du Crabe Karkinos.

 Et enfin, le 28 mai, la sortie de ce territoire s'est dessinée.

 

B.B. Brune a conclu mes séjours par un "Vous avez de la chance !"

De la chance ?

Oui : je suis opérable.

D'autres ne le sont pas.

D'autres n'auront pas la chance d'éradiquer Karkinos d'un coup de bistouri...

 

A ce moment-là, j'ai espéré un peu de lumière, de couleur et de chaleur au bout de ce tunnel de nuit et de glaces brûlantes. 

J'ai caressé l'espoir de m'évader rapidement des Territoires inhospitaliers du Crabe.

 

Je me suis trompée. 


8 juin

Le lundi 8 juin, même pas encore remise sur pied, car ceux-ci continuent à fourmiller allègrement, malgré leurs doses de crèmes tri-quotidiennes, pendant que s'incrustent les vieilles douleurs musculaires et osseuses, les yeux qui pleurent, la langue qui brûle, le goût qui s'amuse à me faire déguster des saveurs atroces de rouille, acides et métalliques, le 8 juin donc, dans l'après-midi étouffante et moite, je dois courir d'un rendez-vous à l'autre.


Au départ de la colline, ma patience est déjà mise à rude épreuve : notre "adorable" voisin a encore une fois percé une tranchée qui traverse le chemin communal. Sans avertir qui que ce soit (nous sommes quantité négligeable à ses yeux) et sans autorisation, (il se pense au-dessus de tout ça)....

Et pour enfoncer le clou, une mini pelle et un camion sont garés en plein milieu.

Un ouvrier s'active mollement avec un grand râteau et une pelle : il fait plus de 30° ! Je ne peux le blâmer....

J'ai donné un léger coup de klaxon, car il ne m'avait pas vue, et je suis restée tranquille et souriante ensuite pour ne pas l'énerver... 

Il me faudra attendre un long moment que la tranchée soit suffisamment rebouchée pour que je puisse passer une fois que les engins seront garés, par le même ouvrier nonchalant sur le côté.

Toute ma belle avance pour rouler tranquillement s'est évaporée sous ce soleil de plomb.

Je dois donc accélérer plus que je ne le voudrais.

 

Heureusement je trouve facilement de la place dans le même parking de magasin que la dernière fois, car ce dernier est fermé le lundi. Et me voici en marche vers l'hôpital... 

 Mais la chaleur est écrasante, entre le soleil qui "poique" sur mon crâne malgré la perruque, et le goudron de la route qui chauffe sous les pieds... J'ai l'impression de cuire dans un four. 

Au bout d'un quart d'heure, qui me paraît interminable, j'arrive enfin à l'hôpital.

Il est 15 heures et je suis pile à l'heure.

Ascenseur, fraîcheur climatisée, couloir gris et jaunes, et cette odeur tenace qui hésite entre la teinture d'iode et le PVC neuf.

 

Beaucoup de personnes sont en attente, mais apparemment pas pour la même chose que moi.

En effet, à peine me suis-je assise que je suis appelée. On me regarde un peu de travers, comme si je bénéficiais d'un passe-droit...

 

Une infirmière, me reçoit. Souriante comme toutes les infirmières rencontrées ici jusqu'à présent.

Nous préparons mon dossier pour l’anesthésiste qui va arriver. On débroussaille pour faciliter le travail.

 

Finalement, l'anesthésite ne sera pas la dame promise, car elle est encore au bloc, mais un monsieur.

J'ai cru que cela ne ferait pas de différence mais j'étais trop optimiste.

L'homme spécialiste de l’endormissement n'est pas commode. Il est carrément ronchon. Il a dû mal manger à midi ou même sauter son repas ? 

Il ne connaît pas mon dossier, ce qui est logique, puisque ce ne devait pas être lui qui devait me recevoir aujourd'hui. Il m'interroge donc, mais curieusement ne semble guère prêter attention à mes réponses...

 

Pire, il me pose des questions dont j'ignore les réponses !

Ce qui semble fort le contrarier.

 

"Qui a pratiqué l'échographie du cœur avant la chimio et pourquoi ce compte rendu n'est-il pas dans mon dossier ?"

Voilà : je n'en ai aucune idée. Sauf que cela a été fait une heure avant la première cure de chimio afin de vérifier si j'étais en état de supporter le poison qu'on allait m’injecter.

 

"Pourquoi n'y a-t-il pas d'analyse de sang post chimio ?"  Et bien, ça je sais : c'est parce que l'on ne m'en a pas faite, mon cher monsieur....

 

Rester calme sous le flot de questions et griefs.

 

"Quel produit a mis le chirurgien en 2002 pour remplacer la morphine dans ma perfusion ?"

Je n'en sais strictement rien.

J'étais dans les vaps, je sortais de la salle de réveil, et je vomissais, lorsque le chirurgien s'est avisé que quelque chose clochait et que ce quelque chose était la présence de morphine dans la perfusion.

Hôpital de Cahors dans les années 60 : le bloc opératoire
Hôpital de Cahors dans les années 60 : le bloc opératoire

"Etes-vous certaine que vous êtes allergique à la morphine ?" Non, je ne suis pas certaine d'être "allergique" mais la morphine me donne des nausées et je vomis. C'est du moins ce qu'en a conclu ce chirurgien. Et je n'ai pas eu l'occasion de vérifier depuis.

Ce que je sais aussi c'est qu'en 1961 lorsque je me suis éveillée de mon anesthésie (opération d'une hernie) et alors que l'on ne m'avait pas administré de morphine, je ne fus pas malade !

Cette pensée me ramène l'image du bloc opératoire de ce temps-là, la grosse lampe ronde au-dessus de ma tête, la table étroite et dure, les tables roulantes en tubes peints en blanc.... Ce n'était pas dans le même département et pourtant il ressemblait au bloc de l'hôpital de Cahors à la même époque ! Tous les blocs se ressemblent...

 

"Vous allez vous priver du meilleur anti-douleur qui soit"... Aïe ! Que dire ? C'est possible... Que faire ? Mais est-ce exact ? (cf. document)

Il termine enfin de remplir  son compte rendu, et c'est ce qui m'importe le plus, tant pis pour son accueil peu aimable.

Je ne le reverrai peut-être plus jamais, car rien ne dit que ce sera lui qui sera présent au bloc lors du passage de la deuxième porte...

Il en fini avec moi mais m'envoie tout de même faire une prise de sang. 

Mes résultats vont être catastrophiques puisque je suis au 12ème jour de la dernière cure, autrement dit au moment où les taux de globules rouges et surtout blancs sont au plus bas ! Cela ne semble pas le gêner.

 

Je rallie donc le rez-de-chaussée où se trouve le laboratoire d'analyse en empruntant les escaliers (très graphiques, très noirs et blancs, angles très aigus et lignes très brisées), histoire de me dégourdir les jambes, et là, j'attends sagement mon tour.

Je m'enquiers auprès de la laborantine du sens des abréviations absconses que je lis sur l'ordonnance : outre la NFS, que je commence à connaître (Numération de la Formule Sanguine), il y a l'Hémostase (utile pour déterminer l'arrêt des saignements), la chimie du sang (sodium, potassium glycémie etc) et enfin "l'immuno Hématologie"  (groupe sanguin).

Il est environ 4 heures et demie lorsque je ressors du bâtiment.

Mon rendez-vous qui suit, avec le Dr J. Neko, "mon" chirurgien, n'est qu'à 17 heures 10. J'ai donc une grosse demi-heure de tranquillité devant moi.

 

Je décide de m'octroyer une pause. Et un goûter. 

La boulangerie pâtisserie en face du porche
La boulangerie pâtisserie en face du porche


C'est donc d'un pas décidé que j'entre dans la boulangerie pâtisserie, en face du porche qui permet de passer des bâtiments de l'hôpital à ceux de la maternité, et fais emplette d'un pain aux raisins (ainsi je n'entre pas dans la bataille qui fait rage entre les partisans du "pain au chocolat" à ceux de la "chocolatine"... ^_~ ).

 

Une boulangerie que je ne recommande d'ailleurs à personne tant ses pains, quiches, pizzas, que nous avions testés en un autre temps, et ses viennoiseries sont décidément... de bien piètre qualité.

Mieux vaut descendre toute la rue jusqu'au feux de croisement et se servir à la toute nouvelle boulangerie artisanale (ancien salon de coiffure) qui fait l'angle en face du restaurant... et que j'ai découverte par après, en tentant de dénicher un jardin ou un parc, avec des bancs à l'ombre, pour déguster tranquillement mon "pain aux raisins" mal cuit, fade, farineux et fourré d'une crème pâtissière trop épaisse et vaguement écœurante.

 

Le porche qui permet de passer d'un bâtiment à l'autre, est en fait l'ancienne porte d'entrée de ce qui fut l'hospice de Cahors (re)construit au XIXe et qui servit jusque dans les années 30. Des dizaines de noms de bienfaiteurs remplissent des colonnes gravées dans le marbre de part et d'autre de la porte. C'est un passage entre deux mondes. Étrange atmosphère.

Sous le porche (liste des bienfaiteurs de part et d'autre) 2004
Sous le porche (liste des bienfaiteurs de part et d'autre) 2004
Le porche, sous la partie centrale du bâtiment (G) - - - - - L'Hôpital de Cahors est l'un des deux seuls établissement en France à s'être vu décerner la médaille de la Résistance pour avoir caché des Juifs.
Le porche, sous la partie centrale du bâtiment (G) - - - - - L'Hôpital de Cahors est l'un des deux seuls établissement en France à s'être vu décerner la médaille de la Résistance pour avoir caché des Juifs.
Les drains
Les drains

 

Le Dr J. Neko a du retard.

Beaucoup de retard.

 

J'attendrai plus d'une heure et demie, dans la petite salle d'attente bondée et non climatisée.

 

Pour finir il m'expliquera le déroulement de l'intervention, ce qui rejoint ce que je sais déjà.

 

Il parlera des deux drains dont je serai affublée, en post-opératoire, des soins hospitaliers, des possibles ponctions à venir faire à l'hôpital après l'opération si écoulement il y a, de la rééducation à venir pour conserver la mobilité de l'épaule, et des drainages lymphatiques à faire réaliser par un kinésithérapeute, en suivant l'opération, afin d'éviter le syndrome du "gros bras" (lymphoedème)...

 

 

C'est beaucoup à encaisser en une seule fois...

Je vois déjà tout le mois de juillet occupé par des soins, interminables, encore et encore.

 

 

Mais le pire est à venir : la radiothérapie.

Je pensais en être quitte avec seulement quelques séances. C'est ce que j'avais cru entendre lors de notre dernière entrevue.

Il n'avait peut-être pas toutes les données, la Réunion Pluridisciplinaires n’ayant pas encore eu lieu ? Ou bien n'a-t-il pas voulu me démoraliser ? Je penche pour cette seconde hypothèse.

 

Voilà qu'il m'annonce maintenant cinq semaines, non stop, de séances quotidiennes (sauf le samedi et le dimanche) à aller subir à Montauban.

Là, je suis carrément effondrée.

Je ne peux empêcher ma gorge de se serrer puis de lâcher, sous un hoquet suivi immédiatement de crispation et tremblements des lèvres et enfin de larmes, que je suis incapable de retenir, qui coulent le long de mes joues.

Au secours !

Le Dr J. Neko tentera de me rassurer. Mais il ne le peut pas.

 

Il est 19 heures lorsque je quitte Cahors et 20 heures lorsqu'enfin je regagne notre colline.

Je suis épuisée.

Et mentalement mal en point.


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Quel autre opioïde que la morphine utiliser en postopératoire ?
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