ETE PRECOCE

Le Redon et l'érable

23 Juin 2015

 

Matinée éprouvante après la nuit d'insomnie.

On enchaîne !

Prise des constantes dès 6 h 30.

Suivies d'une prise de sang.

Petit déjeuner, changement de la literie, visite d'un chirurgien que je n'ai encore jamais vu, auquel je m'empresse de signaler la douleur intense que j'ai au niveau du drain de devant (le "redon antero-parietal") qui visiblement touche une terminaison nerveuse, ménage rapide de la chambre et salle d'eau, suivie de la visite de "mon" chirurgien, le Dr J. Neko (qui est le chef du service quand même !) et de son interne. Il en profite pour faire enlever le pansement et examiner la "cicatrice" et le fameux Redon incriminé,  ce qui lui fera prendre la décision, le drain ne "donnant"déjà pratiquement plus, de le faire retirer !

 

Au secours !

 

Cette opération ne me dit rien qui vaille et me fait craindre le pire !

"Vous serez bien mieux après, une fois qu'il sera retiré" !

J'en suis tout à fait convaincue... mais pendant qu'on le retire ?...

Mais les infirmières me rassurent déjà, elles iront chercher des bonbonnes de gaz "MEOPA" (abréviation de Mélange Equimolaire Oxygène-Protoxyde d'Azote), pour me "relaxer" et supprimer en grande partie la douleur.

On l'utilise pour les enfants et de plus en plus pour les accouchements et même certains dentistes y font appel.

 

En un instant je me retrouve affublée d'un masque vert surmonté d'un... petit avion à hélices emprunté au service pédiatrie !

Chacune de mes expirations fera tourner les hélices avec un vrombissement singulier et irrésistiblement drôle ! Je ris toute seule.

En un rien de temps l'infirmière a fait glisser le drain sous ma peau puis me libère du masque.

" Ca a été ? demande-t-elle ?

Dire que je n'ai rien senti serait faux, mais cela n'avait plus aucun importance tellement, comme le petit avion, je planais loin, loin, très haut.... Shootée au gaz MEOPA (le gaz qui "met au pas"... la douleur !)

 

Après ce joyeux intermède, je m'endors encore comme un petit loir, car Lou et Fleur ne doivent arriver que pour le goûter : ils veulent que je me repose. Ils ont raison, j'en ai besoin.

Avant 16 heures l'infirmière vient m'ôter la perfusion.

 

Me voici libérée au moins de deux amarres, un des deux redons et la "perf".

Me voici presque prête, comme une montgolfière, à m'envoler....  

Le soir, après le repas pris avec Lou et Fleur qui ont apporté un sandwich pour dîner en ma compagnie, avant de repartir vers les collines, je décide de prendre une douche. Ce sera certes compliqué, entre le drain et sa bouteille et le pansement non imperméable, mais j'en ai besoin. Non que je me sente sale mais j'ai besoin de sentir l'eau couler sur mon corps,  pour le faire renaître...

Et puis je veux observer, non ma cicatrice, puisqu'elle est cachée, mais le pansement dont elle est recouverte. Et ce demi buste désormais plat.

Je prends mon courage à deux mains et me plante devant le haut miroir de la salle d'eau.

J'ôte lentement ma chemise de bûcheron (une chemise de Lou !).

Premier face à face....

 

Sous la longue et large bande toute blanche, on aperçoit le pansement supplémentaire, ajouté cet après-midi, suite à l’ablation du Redon.

Juste une petite traînée brun rouge.

L'autre drain prend naissance depuis l'aisselle...

 

Après la douche, je lâche finalement mes amarres et plonge dans la nuit. 

 


24 juin 2015

 

10 heure du matin. Ma chambre bleue et blanche commence à s'emplir d'un bon et franc soleil. Je le devine au travers de mes paupières closes. 

Le remue-ménage matinal s'est un peu apaisé. On me laisse enfin un peu tranquille.

Je suis bien.

La nuit a été bonne. Je me suis endormie très vite et n'ai plus bougé jusqu'au petit jour. 

J'ai le sentiment d'être couchée dans la cabine d'un grand traversier. Ou même d'un paquebot. Pas un de ces monstres de pacotille et de toc rutilant, qui croisent de ports en ports avec leur cargaison de touristes, non, un paquebot ancien, élégant, de haute mer.

 

J'entends les machines lancées en pleine puissance, et contre le flanc qui creuse son sillage, le déferlement des vagues hauturières.

 

Bien sûr il manque les embruns, le goût du sel et l'odeur de l'océan... Je sais qu'il ne s'agit sans doute que des moteurs de la ventilation centralisée, mais l'hôpital et ses coursives, ses ponts et son équipage en blouses blanches, ce gigantesque bâtiment qui m'emporte en des terres inconnues... a ce goût de voyage. 

Soudain, dans mon rêve éveillé, des voix devant ma porte : celle d'une femme et celle plus incongrue d'un homme, à cette heure-ci de la matinée, où les "chauffeurs" de lit pour le bloc opératoire ont déserté les couloirs et où les chirurgiens ne sont pas encore de sortie. 

"Oui elle est bien dans la chambre 5." 

C'est de moi que l’on parle donc !

 

Petits coups discrets frappés sur la porte. 

"Oui ?"

Entrent une des blouses blanches qui est déjà venue ce matin tôt, prendre tension, température, et vérifier la quantité de lymphe contenue dans ma "bouteille", débarrasser mon petit déjeuner, faire le lit et j'en oublie, et un jeune homme inconnu, presque caché derrière un grand paquet blanc, un peu embarrassé, qui pensait sans doute trouver une jeune maman et son bébé puisque nous sommes à la "maternité" et qui se retrouve devant moi, vieille femme au crâne dégarni, recouvert néanmoins d'un foulard (il fait presque froid dans la chambre à cause ou grâce à la ventilation climatisée et centralisée, alors je reste "en foulard"), sagement allongée, immobile, qui lui laisse facilement deviner LA maladie dont elle, comme des milliers d'autres, est atteinte...

 

Il sait ce qu'il doit dire et faire, mais il est visiblement et totalement décontenancé !

Il récite plutôt qu'il ne me dit, qu'il est chargé de me livrer ceci : et ceci est une immense parallélépipède de carton blanc, tout en hauteur, sur lequel est dessinée une orchidée...

Il pose le colis devant mon lit et dans la foulée, me tend sa liste de noms afin que je signe le reçu. S'inquiète soudain que je ne sois pas en état d'écrire. "Faites juste un gribouillis... n'importe où... "

Je lui souris. Et le rassure : je suis encore en mesure de lire et de signer, en face de mon nom. Tout va bien.

 

La blouse blanche qui est entrée avec lui est légèrement en retrait et observe. Entrent encore deux plus jeunes filles qui viennent faire le ménage de la chambre.

Le jeune homme, entouré de toutes ces femmes, ne demande pas son reste et, son papier en poche, il en profite pour s'éclipser rapidement.

Autour du lit c'est l'effervescence maintenant. Les jeunes blouses blanches sont presque aussi surprise que moi.

Je ne sais pas qui me fait ce cadeau. Et que recèle ce mystérieux carton ?

Je me soulève et m'assieds au bord du lit. Mes doigts n'ont pas la force d'ouvrir la boîte. Qu'à cela ne tienne, la plus grande des jeunes blouses blanches le fait à ma place. Toute excitée !

 

"C'est quoi ?", demande-t-elle, plutôt pour elle-même, les yeux écarquillés par la surprise, car elle s'attendait à des fleurs.

J'aperçois la couronne d'une fine dentelle vert pâle et orangée. Une bouffée de vie fait battre mon cœur. Ma gorge se serre sous l'émotion. Ce ne sont pas des fleurs. C'est mieux encore...

 

La jeune femme extrait doucement, de sa prison sombre de carton, un arbrisseau !

Elle ne s'y s'attendait pas et je sens que son étonnement va croissant.

Des "Ho !" jaillissent. Quelques têtes curieuses attirées par le remue-ménage inhabituel, apparaissent à ma porte. Effervescence dans le couloir.

"Qu'est-ce que c'est ?" s'extasie-t-on. "D'où ça vient ?"

 

Moi je sais.

J'ai reconnu la découpe fine et caractéristique de l'étoile de la feuille d'un érable japonais ! 

L'érable ! (un acer palmatum "orange dream")  !
L'érable ! (un acer palmatum "orange dream")  !

La jeune blouse blanche l'installe sur la table, dans le coin, face à la fenêtre rt au soleil.


Qui, mais qui a bien pu m'envoyer un tel cadeau !?

Maintenant les larmes troublent ma vue.

 

Qui sait que je suis ici ?

Qui a su suivre ma trace et me dénicher ?

Ici, dans la chambre n° 5 du secteur obstétrique de cet hôpital de province ?

Et qui, me connaissant suffisamment, m'offre ce symbole du Japon en miniature et bien en vie ?


Car c'est bien un souffle de vie et le signe d'un ailleurs, qui vient d'entrer dans cette chambre aseptisée ! 

 

Et je lis enfin sur la carte jointe le nom de cette amie, que je ne connais pas, que je n'ai jamais vue, mais qui, attentive, lit ces lignes de ce récit, de ce carnet de route, et a su trouver la note juste, l'exacte réponse à mon désir vital, la nuance précise de cette nature qui m'est nécessaire, la pièce du puzzle qui vient s'inscrire dans le cadre de mes pays imaginaires, de mes voyages nourriciers et initiateurs.

 

Comment lui dire merci ?


En le plantant chez nous, sur la colline. Bien sûr. 

Entre ce qui fut le vestige de pierre des anciens habitants de cette colline ronde, et que Lou a remonté en partie, et la roulotte de cylindreur qui termine ici paisiblement sa vie en un voyage immobile, dans cet aire abritée des regards indiscrets et des vents dominants, à la fois sous le soleil et l'ombre changeante et légère des chênes et de ces cousins, les érables rustiques et ceux de Montpellier, les pins maritimes et sylvestres, les cornouillers sanguins et les alisiers, les buis et les genévriers, les viornes manciennes et les nerpruns alaternes, subtil mélange des causses quercynois et des garrigues du sud qui donnent cette identité unique à notre Pech, mamelon rond entre vallée de la rivière Lot et le plateau du Quercy Blanc. 

 

Aux Blouses Blanches, qui m’interrogent, j'évoque ce blog que j'écris et cette amie proche et pourtant inconnue qui le lit.

"Quelle belle histoire !" disent-elles. "C'est émouvant" dit l'une, "c'est trop joli" dit l'autre. La nouvelle de l'arrivée d'un érable du Japon chez la n°5 qui écrit un blog, court déjà dans les coursives du bâtiment ... bruissement de vent dans les feuilles...


Mais la "chef" des blouses blanches s'inquiète déjà de la présence du pot et de la terre dans laquelle mon érable puise sa nourriture. 

Pour des raisons d'asepsie, c'est interdit ici.

Devant l'air navré de tout le monde, elle me demande si mon mari va venir aujourd'hui et s'il pourra emporter mon arbre...

Oui.

Lou va venir. Et Fleur aussi.

Dans l'après-midi, un peu avant l'heure du goûter, Lou et Fleur sont là.

 

Peu après leur arrivée, le Dr J. Neko, encore accompagné de son interne, et de deux blouses blanches, vient voir comment je vais. Comment je suis.

Il me trouve debout, habillée, perruquée, entourée des miens, un large sourire barrant toute la figure, et dans le coin de la chambre, prenant le soleil, un arbrisseau qui veille sur moi ! 

Nous nous serrons la main, je lui présente Lou et Fleur, mon mari et ma fille "j'avais compris" dit-il en souriant. 

Le redon "lymphe"
Le redon "lymphe"

Il a visiblement consulté  le rapport des blouses blanches. Sait que je me débrouille sans leur aide, que je mange bien, que je n'ai pas de fièvre que ma tension est celle d'un bébé, que mes douleurs ne dépassent pas la barre du traitement au paracétamol. Il sait que sous le pansement c'est non pas "joli", car effectivement d'un point de vue esthétique peut-on dire "joli" en regardant cette balafre rouge, cousue au point de surjet, mais pour lui ça s'appelle "correct".

Il regarde la bouteille de mon redon, que je camoufle, car c'est plus pratique, dans une petite pochette indienne. 

Et sa conclusion tombe : pour lui tout va bien, rien ne s'oppose à mon retour à la maison. Le séjour en hôpital ne m'apportera rien de plus. Rien de mieux.

Une infirmière viendra changer mon passement à domicile, ôter le redon et faire les piqûres quotidiennes d'anticoagulant. C'est chose dite et le tour est joué. 

Je rentre à la maison dès demain.

 

Lou Fleur et moi, sommes allés fêter la bonne nouvelle, dans ce je croyais être un havre de paix et de fraîcheur, le "patio" du service obstétrique-gynécologie mais qui s'avère être juste un espace bétonné avec de gigantesques fauteuils jaunes, en résine dure, que trois oliviers manquant d'eau et d'amour, tentent néanmoins de rendre plus vert.

 

Pendant que Lou se rend à la Poste, Fleur et moi y passons néanmoins un moment d'intimité et de rire.

Elle repart pour la capitale dans moins d'une heure, petite fleur sauvage expatriée dans le béton et l'agitation... Train vétuste et cahotant, trop souvent en panne et en retard, voué à la disparition prochaine.

 

Et Lou repartira avec l'érable... en attendant demain.


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Utilisation du gaz MEOPA
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