ÉTÉ BRÛLANT

Going out et Coming Out

Le "coming out" est à la mode.

Celui-ci n'était pas vraiment prévu...

Le "going out" (ma sortie) non plus.

 

24 Juillet 2015 : La chaleur est tombée. Des nuages en chou-fleur neigeux s'amoncellent vers le sud. 

 

Sur le parvis du château de notre petit village, trois vieux briscards de la musique (il en manque un) ont installé leurs tréteaux. Ou plutôt, ont installé sur les tréteaux, leurs instruments, sono, amplis, micros, et tout ce qu'il faut pour faire du bruit. Le groupe, plus tout jeune, fait dans un genre de rock festif. Lou me propose d'y aller : nous les avons déjà vus à l'oeuvre l'année dernière, quand je pouvais danser sans interruption jusqu'à des trois ou quatre heures du matin.

 

Je commence par refuser. Comme toujours dès que je suis surprise. C'est comme un réflexe... Un réflexe de protection.

Puis, si l'on me laisse réfléchir, sans me brusquer,, en général, je reviens sur ma décision, et Lou le sait. Il me laisse du temps.

Les "forces obscures"
Les "forces obscures"

Finalement je me dis que cela va m'apporter une bouffée d'oxygène dans ces journées un peu moroses où rien ne se passe si ce ne sont des attentats quotidiens et horriblement meurtriers du côté des forces obscures du Califat Noir, devenus d'une effrayante banalité, des manifestations et blocage de routes par les paysans en colère, comme souvent au moment des vacances... et l'incontournable et indétrônable Tour de France.


Cela me forcera à penser à autre chose qu'à cette fichue cicatrice qui met un temps fou à s'apaiser, se dénouer, se lisser.

Une douche plus tard,, suivie d'un tartinage de crème cicatrisante à l'acide hyaluronique, d'huile hydratante au calendula, et de pommade aux corticoïdes sur la plante des pieds, une brassière arrangée en "mono-sein", une tunique en coton pour laisser l'estafilade respirer, et Carol, la chevelure blonde de mes sorties : me voici prête à affronter le "monde".

Le "monde" se résume à une centaine de personnes dont je ne connais bizarrement ce soir qu'une petite douzaine, mais c'est la première fois, depuis que je suis atteinte de cette calvitie provisoire (on dit "alopécie" quand on parle couramment l'oncolangue) que j'apparais au vu et au su d'autant de personnes à la fois, dans ma commune !

Je me rassure en me disant que l'on va juste remarquer mes cheveux qui ont changé de couleur. Et me complimenter sur mon coiffeur !

 

Mais à peine avons-nous posé les pieds sur l'esplanade du château, que nous voyons "môssieur not' bon maire" fendre la foule de son gros ventre qui sert habituellement, à promener son écharpe tricolore, et se diriger droit sur nous, l'air décidé.

Il nous accoste, salue Lou, rapidement, lance un tonitruant "merci d'être venus" puis, sans autre forme de procès, s'enquiert de ma santé "Vous allez mieux ?"

"Mieux ?

- Et bien oui, "on" m'a dit que vous étiez à l'hôpital, que vous vous étiez fait opérer, je sais tout, "on" m'a parlé de votre souci de santé"...

Je suis abasourdie. Ainsi donc, "not' bon môssieur" a été informé, sans doute par "une amie qui me veut du bien", et que je soupçonne fort d'être la secrétaire de mairie qui m'avait pourtant juré ses grands dieux qu'elle resterait muette comme une tombe, suite à un coup de fil qui m'avait surprise (moi qui n'aime pas les surprises ainsi que je viens de le dire) dans mon lit d'hôpital pour une histoire de papiers !  

Je sais que "not' bon maire" ne sait pas tenir sa langue et qu'il est prêt à répandre n'importe quel "ouïe-dire" à n'importe qui et n'importe quand, pour peu que ça crée du remue-ménage !

 

Avec ce grain qu'il donne à moudre, et derrière cet écran de fumée, il peut continuer à faire tranquillement impression et brasser autant d'air qu'il le veut. 

 

Mais ce n'est pas tout.

Comme si cela ne suffisait pas, voilà qu'il m'annonce, tout de go, que notre "collaboration" pour le site internet de la mairie va cesser.

 

Le mot "collaboration" me fait tiquer. Trop chargé de sens à mon goût...

 

Mais la nouvelle me coupe le sifflet !

Je la reçois comme un coup de fouet dans la figure.

Cela fait 13 ans que j'ai créé ce site de toutes pièces, l'ai rédigé, illustré, bichonné, fait des recherches sur l'histoire du village, de ses habitants, de ses lieux-dits, de sa faune et sa flore... Parce que j'aime cette commune, son passé, sa nature, son terroir, ses racines, ses paysages, et son petit poète paysan aux images tellement fortes... Et je l'ai fait gratuitement.

Puis les maires successifs m'ont demandé de créer, en plus, une rubrique "municipale" et de la remplir avec les informations qu'ils me donnaient. Ce que j'ai fait, moyennant "trois francs six sous".

Et je l'ai bien fait.

Et tout le monde était content.

Et voici qu'aujourd'hui, jour de fête au village, ce malotru se permet de me "remercier" comme ça, à la volée, par surprise et sans aucun état d'âme.

"Nous n'avons rien à vous reprocher, mais c'est pour des raisons d'économie" se justifie-t-il ! 

Ah la belle excuse ! Je le crains atteint du syndrome de Picsou ! 

Le "syndrome de Picsou"
Le "syndrome de Picsou"

"J'espère que cela ne vous vexe pas ?" ose ajouter le grossier malappris !

Non, non, je ne suis pas vexée ! Je suis outrée, choquée par son inélégance, sa cuistrerie et sa bêtise.

Je suis furieuse ! Et peinée.

Son coup bas accompli, se rengorgeant de son audace sans doute, ce goujat nous plante là. Le Conseiller départemental nouvellement réélu vient d'arriver et "Môssieur not' bon maire" a mieux à faire que de perdre son temps avec le menu fretin que nous sommes...

 

Il m'a gâché ma soirée avant qu'elle ne commence. Lou est navré et me serre dans ses bras, sans rien dire. 

 

J'ai tenté de danser quand même, mais sans conviction, juste pour faire bouger un peu mon épaule et mon bras. Hélas, le son était particulièrement mauvais : friture grasse de vieil ampli fatigué. Et ce soir, les musiciens eux-mêmes n'avaient ni le feu sacré ni même la moindre petite étincelle.

Et le public trop sage, trop immobile sur les chaises alignées.

Soirée du 24 juillet
Soirée du 24 juillet

J'ai discuté à droite et à gauche, avec les quelques personnes que je connaissais, mais c'était la fin des repas de frites et grillades servis pour l'occasion et le vin et la bière avaient semé le trouble et la lourdeur dans les esprits et sur les langues.

 

Pourtant il me fallait prendre la rumeur de court, la précéder, la devancer, arrêter ce cheval déjà lancé au grand galop, lui prendre le mors des dents !

Alors j'ai fait mon "coming out" : à tous ceux qui, déjà avertis par notre baudruche locale, m'ont demandé si j'allais mieux, j'ai dit non, j'ai un cancer et ça ne se guérit pas comme une grippe.

A tous ceux que je connaissais et qui ne savaient pas, j'ai dit la même chose.

Voilà. C'est fait.

J'au eu droit aux mêmes petites phrases que ne connais déjà que trop "il faut te battre", "bah le cancer du sein c'est rien !"...

 

Désormais je peux oser me montrer : je peux même, si l'envie m'en prenait, aller au village avec un petit foulard, ou tête nue, ou même un bandana de pirate !

 

J'avais dit que je parlerai, si l'occasion se présentait, que je cesserai de me cacher. Mais je ne voulais pas le faire dans ces conditions.

"Merci not' bon maire, merci not' bon monsieur" !

 

Quelques gouttes de pluie ont un peu mouillé mes épaules, des éclairs au sud ont zébré le ciel. Mais l'orage n'a pas éclaté.

 

 

Demain je vais réfléchir à la meilleure façon de quitter dignement cette "collaboration" avec cette municipalité, qui de toute façon ne me convenait plus.

 


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Commentaires: 2
  • #1

    MC Apicella (lundi, 27 juillet 2015 17:21)

    Bonjour Anne-Marie,
    Je ne fais pas de commentaires d'habitude, vous écrivez avec une telle perfection que tout est dit ! Et qu'il est difficile de trouver les mots à la hauteur ... Mais je lis avec toujours autant d'intérêt votre blog en alternant les moment de bonheur pour vous quand il y a une " embellie" et la tristesse quand vous n'allez pas bien...
    Je ne peux m'empêcher cette fois de clamer mon indignation devant le comportement de ce triste individu soit disant" représentant du peuple", tout me hérisse ! Cette fin de non recevoir dans un lieu public, lors d'une fête et juste au moment où vous avez besoin de sérénité et non de contrariété est d'une lâcheté incroyable! Bravo Monsieur le Maire, quelle élégance!!
    Vous êtes peinée et c'est bien normal, mais, même sans avoir visité le site de la commune, je suis persuadée qu'avec votre talent de narratrice, c'était un régal! Ce triste individu a plus à perdre que vous!
    Je vous félicite pour avoir révélé votre maladie, ce qui mettra fin aux rumeurs dont sont friands certains... et je sens, que c'est une sorte de libération pour vous,....vous avez du cran!
    J'espère que quelques larmes ne se sont pas mélangées aux gouttes de pluie, mais je n'en suis pas si certaine...
    Ne laisser pas ce sale type troubler votre esprit, il n'en vaut pas la peine !
    Bonne fin de journée.
    MC




  • #2

    Sur les Terres de Karkinos (dimanche, 02 août 2015 16:33)

    Bah... Le vent et le soleil sèchent la pluie d'été... et les larmes amères.
    Le "Pallone Gonfiato" tombera par où il penche, à moins qu'une aiguille ne le perce à jour et que l'air qui le remplit ne s'en échappe....
    Merci pour votre message !