MARIE EN MAI

Etats d'âme

Les réactions de certains proches sont en effet parfois déconcertantes, voire même déprimantes.

Même si cela part d'une bonne intention.

 

Et puis il y a des paroles, des questions qui m'irritent, des phrases toutes faites, qui me deviennent vite insupportables.

Je sais que c'est pour "m'aider", pour me "remonter le moral". 

Mais si le traitement est épuisant et me rend malade, le moral... je l'ai toujours ! 

Et pourtant ces petites phrases, prononcées par des gens bien intentionnés, mais qui ne savent rien de ce qu'est le quotidien d'une cancéreuse, tout simplement parce qu'il ou elle ne l'ont pas vécu (et c'est tant mieux pour eux), ont juste l'effet inverse.

 

"On ne meurt plus du cancer du sein !"

Youpi ! Quelle bonne nouvelle....  Pourtant ma cousine germaine en est morte l'an dernier... Avec 48 763 nouveaux cas de cancer du sein en 2012 on déplore au moins 11 886 décès (Institut National du Cancer)... 

Je sais bien que c'est une façon de me dire "ne t'inquiète pas tu ne vas pas mourir"... Mais est-ce si sûr ? 

 

"Ce n'est pas trop grave, ça pourrait être pire"

Bin tiens.... Comme consolation c'est pas mal. Qu'est-ce que je suis contente alors ! Là encore on se veut rassurant. Bien sûr je pourrais avoir des métastases partout. Bien sûr ça pourrait être pire. Mais ce n'est quand même pas juste une petite grippe ou une tourista !

 

"A ton âge ce n'est pas trop gênant une mastectomie"

Ah bon ? Il y a une date de péremption ? Je l'ignorais... A quel âge on peut se passer d'un sein (ou des deux ?).

Et bien si, c'est "gênant" une mastectomie : enlever un sein, que j'ai depuis toujours, qui fait partie intégrante de moi, qui a nourri ma fille, qui a été caressé et aimé et m'a donné du plaisir... Un sein que j'aime regarder car il est encore bien rond, bien gonflé.... (et quand bien même serait-il "flasque" et plat !). 

Bien sûr je n'ai plus ni trente ni quarante ni même cinquante ans...

Mais, quand même, ce n'est pas qu'une question d'âge.

C'est une décision difficile à prendre et à assumer. Et ce n'est pas juste gênant ou pas. 

 

"Est-ce que ça va ?"

Question répétée inlassablement... et alors même que je donne régulièrement de mes nouvelles ! On "va" comme avec un cancer : ce n'est pas lui qui fait mal, certes, mais ce sont les traitements qui me rendent malades et m'angoissent en prime.

Qu'on se le dise une fois pour toutes, alors, NON ça ne va pas !

C'est une course de fond, d'endurance, marathon que l'on court en solitaire. Chaque cure renouvelle son lot de "bobos". Parlez-moi d'autres chose s'il-vous-plaît ! Parce que non, je ne vais pas bien, non la vie n'est pas au top pour moi.

Et ne me dites surtout pas, l'air enjoué  "ça va passer" : je le sais. Sauf que là, je m'en fiche ! Je n'en vois pas le bout.

 

"Il faut te battre ! Il faut lutter ! Il faut rester positive !"

Et contre quoi lutter ? Et surtout avec quoi ? Avec des arcs ? Des flèches ? Des pensées positives ? 

D'accord, c'est une façon de me dire "courage". Alors dites-moi simplement "courage" ou "tiens bon".

 

Parce que lutter... je ne vois pas comment. Prendre mon mal en patience, ça oui. Et pour ça il en faut du courage.

 

Ma seule "arme" c'est mon amour pour la vie et pour ma petite personne. L'amour que j'ai pour Lou et Fleur et qui me le rendent. L'amour de mes amis.

Et l'écriture aussi. Et un zeste d'humour.

 

Et puis aussi ma colère parfois qui me montre que je suis toujours bien vivante.

Ma colère contre ce docteur, en qui j'avais encore confiance, et qui palpait régulièrement cette "masse fibreuse" qu'un radiologue avait ainsi définie, par erreur de lecture semble-t-il, en me disant : "Ce n'est rien. Le seul problème c'est que ça pourrait cacher un cancer"...

Mais la fameuse masse fibreuse ETAIT le cancer lui-même ! Où serai-je actuellement si je ne m'en était pas préoccupée ?

 

Tout cela suffira-t-il à vaincre des cellules cancéreuses ? J'en doute, même si ça aide.

Pour l'instant, le combat, le vrai combat est mené par le Fennec Rouge et le Phacochère Noir avec toute la panoplie d'effets secondaires épouvantables que l'on ne peut que subir, contre lesquels on ne peut ni se battre ni lutter.

On survit c'est déjà bien. 

 

"Il fait beau, tu vas pouvoir en profiter !"

 Sauf que... NON, je dois me protéger complètement du soleil : le soleil nous est interdit à nous autres sous chimiothérapie... Alors quand il fait grand soleil je me couve de la tête aux pieds et porte de grands chapeau et des lunettes noires. Ou je reste à l'ombre, chez moi.

 

"Bon là ça y est, tu vas avoir fini, c'est le bout du tunnel !"

La chimio oui, ça va bientôt se terminer, disons que j'en ai encore pour un mois et demi, voire deux mois ou plus avant que les effets ne s'estompent. Un peu...

Ce qui n'est pas rien.

 

Mais mes chéris, il y a une suite ! (certains le découvrent !) : on va m'opérer, ("ah bon ? Mais à quoi ça sert alors cette chimio ?"... Relisez... la feuille de route) !

Et oui on va m'enlever mon sein gauche, une mastectomie ça s'appelle, et on va ôter la chaîne ganglionnaire, un "curage axillaire" ça s'appelle (cf. document ci-dessous).

Et la période post opératoire est loin d'être une partie de plaisir ! Je vous en reparlerai !

 

Et ensuite, il y aura la radiothérapie (des rayons) à subir encore.... Puis des contrôles tous les trois mois, puis six mois, puis tous les ans. Le bout du tunnel, ce n'est pas pour tout de suite non. Si je m'en sors, car même ça, ce n'est pas une certitude !

"Tu vas faire une reconstruction mammaire ?" 

Cette question posée, alors que j'avais à peine commencé la chimiothérapie, et que j'en bavais, était presque obscène à mes yeux (surtout venant d'un gars) !

 

Mais j'y ai répondu malgré tout, car cela m'a permis de me la poser à moi-même, cette foutue question. Et la réponses est NON. Je resterai une "amazone".

Avec sûrement à la clé, un long travail de reconquête de mon corps.

Mais alors qu'est-ce qu'on peut te dire, allez-vous vous demandez...

 

La seule chose que l'on attend, c'est de l'écoute parfois, de la présence surtout et de l'amour encore, de la vie, du rire, des bisous... et éventuellement un coup de main.

 

Et j'ajoute que dans ce temps de Karkinos où tout s'éparpille, où les choses deviennent flous, où notre vie est un peu déglinguée, Lou et Fleur vont bien... malgré tout. Pour ceux qui se poseraient la question.

On se marre, on discute de tout et de rien, on s'embrasse, mais on s'engueule aussi, puis on se réconcilie... Comme avant.

Leur regard sur moi n'a pas changé. Il s'est fait un peu plus profond peut-être. Plus "évident" encore.

 

Ils sont là.

Tous les deux.

Et je sais que je peux compter sur eux. Sur leur présence.

 

Celle de Lou concrète, au quotidien.

Lou qui fait les courses et la cuisine, va chercher les médicaments à la pharmacie, me laisse dormir et me protège des visiteurs que je ne souhaite pas voir... Lou qui vient avec moi pour les cures de chimio, Lou qui m'emmène en balade même quand je me sens fatiguée car il sait qu'au retour je me sentirai mieux, Lou qui casse mes ampoules de médicaments car mes doigts n'y arrivent plus. Des choses importantes et d'infimes détails. Mais qui ont du sens.

 

Et aussi celle de Fleur, virtuelle mais bien réelle, depuis Paris.

Ses petits mots, ses coups de fil, le récit de ses journées... le bouquin qu'elle lit ou le film qu'elle voit et qu'elle me conseille, ses petites joies, ses peines aussi, ses voyages, sa lettre écrite à Florent Chavouet pour son livre Manabe Shima, (où elle lui parle de sa maman) et la réponse de ce dernier, toute en humour, poésie, joie de vivre colorée et gentillesse à l'image de ses bouquins.

Extrait de Manabe Shima . dessin de © Florent Chavouet
Extrait de Manabe Shima . dessin de © Florent Chavouet

 

Et merci à tous ceux qui ne prennent pas des têtes d'enterrement, lorsqu'ils viennent me voir et que nous passons un bon moment à rire et plaisanter ensemble.

 

Merci à ceux qui, au téléphone n'ont pas un ton de circonstance et d'apitoiement.

 

Merci à tous ceux qui continuent à me parler comme "avant". A parler VRAI.

 

Merci aussi à celle qui m'a proposé de passer un coup de balai et la serpillière parce qu'elle me voyait incapable de le faire.

 

Merci enfin à toutes celles et ceux qui comprennent, et acceptent, que parfois je puisse être en colère... et de mauvaise humeur !

 

D'autant que le Phacochère Noir (le Taxotère ®) modifie l'humeur et rend... irritable (voir document ci-dessous : "Fiche patient Taxotère®" - page 2) !


Documentation

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Fondation Cancer du Sein du Québec - Mastectomie totale ou partielle ?
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Le curage axillaire
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Fiche Patient Taxotère®
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